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La maison familiale (1804-1814) - Tours
En janvier 1804, Bernard-François Balzac achète une demeure au n°29, rue d’Indre-et-Loire (aujourd’hui, 53 rue Nationale)[1]. La demeure comprend une cour d’entrée pavée bordée de deux vastes bâtiments de communs, un bâtiment principal lui-même composé de deux grands salons au rez-de-chaussée, un salon et plusieurs chambres au premier étage, de même au deuxième étage[2]. Après avoir passé sa petite enfance chez une nourrice, Honoré est alors de retour chez ses parents. À partir d’avril 1804, il est externe à la pension Le Guay, située au 71 rue de la Scellerie.
Les messieurs de ma connaissance
M. et Mme Balzac côtoient régulièrement les notables tourangeaux. Parmi eux, Jean Margonne (1780-1858), propriétaire du domaine de Saché et Ferdinand Heredia[3], un jeune noble Espagnol réfugié à Tours, tous deux amants présumés de Mme Balzac. Au mois de juin 1807, alors que Mme Balzac est enceinte d’Henry, fils présumé de M. Margonne, Honoré est envoyé au collège de Vendôme, comme d’autres jeunes tourangeaux. Plus tard, Balzac racontera à Mme Hanska : « à 6 ans ½, j’ai été envoyé à Vendôme, j’y suis resté jusqu’à 14 ans, en 1813, n’ayant vu que 2 fois ma mère »[4].
Tandis qu’Honoré entre à Vendôme, son père est nommé le 1er octobre 1807 agent général des vivres de la 22e division militaire. En parallèle, il entame la publication de diverses brochures chez l’imprimeur Mame dans le but d’asseoir sa renommée au sein de la politique tourangelle[5]. Par ailleurs, il tente en vain d’obtenir la Légion d’honneur pour les services rendus à l’administration publique. Mais le préfet Lambert nouvellement en poste ne le soutient pas ; ce dernier est même méfiant face à un homme qui « est dans l’opulence » tandis que ces parents « sont très peu fortunés »[6]. Désormais, la carrière politique de Bernard-François Balzac connaît un tournant moins favorable. Le 8 avril 1808, il quitte ses fonctions d’adjoint au maire[7].
De 1807 à 1813, les parents d’Honoré suivent à distance son éducation. Dans une lettre datée du 1er mai 1809, Honoré avoue à sa mère une punition récente : « Ma chère Maman, je pense que mon papa a été désolé quand il a su que j’ai été à l’alcôve. Je te prie de le consoler en lui disant que j’ai eu un accessit. […] Je t’embrasse de tout mon cœur et toute la famille et les messieurs de ma connaissance »[8]. Il revient à Tours après avoir été renvoyé du collège le 22 avril 1813 pour une raison méconnue. Selon la sœur de Balzac, il s’agissait d’un problème de santé : « il était atteint d’une sorte de coma qui inquiétait d’autant plus ses maîtres qu’ils n’en voyaient pas les causes. […] Cet état surprenant […] provenait d’une espèce de congestion d’idées (pour répéter ses expressions) ; il avait lu, à l’insu de ses professeurs, une grande partie de la riche bibliothèque du collège […] c’était dans le cachot, où il se faisait mettre journellement, qu’il dévorait ces livres sérieux ».[9]
Vente de la maison familiale de Tours
Lorsqu’Honoré rentre à Tours, la demeure familiale vient d’être achetée par les parents d’un de ces condisciples du collège. Bernard-François Balzac a en effet revendu la demeure à son ami Honoré Marchant (1764-1816) pour 40 000 F, soit son prix d’achat en 1804. Cependant, bien que l’entrée en jouissance des nouveaux propriétaires soit fixée au 1er mai 1813, la famille Balzac ne déménage officiellement qu’à l’automne 1814[10]. Quant à Honoré, quasiment dès son retour de Vendôme, il est envoyé à l’institution Ganser dans le Marais où il reste presqu’un an[11].
En février 1814, Bernard-François Balzac cesse les fonctions d’administrateur de l’hospice général de Tours qu’il exerçait depuis 1803[12]. Au cours du mois de février ou mars 1814, Mme Balzac se serait rendue seule à Paris pour raccompagner son fils à Tours afin de l’éloigner des troubles politiques qui précèdent la fin de l’Empire ; elle aurait alors revu Ferdinand Heredia pendant ce court séjour parisien[13]. Selon Nicole Mozet, on peut trouver un écho à cet épisode de la jeunesse d’Honoré dans le roman Le Lys dans la vallée :
Ma mère s’était chargée de [me] reconduire [à Tours] pour me soustraire aux dangers dont la capitale semblait menacée à ceux qui suivaient intelligemment la marche des ennemis. […] Je ne vous parlerai point du voyage que je fis de Paris à Tours avec ma mère. La froideur de ses façons réprima l’essor de mes tendresses[14].
De retour dans la maison familiale, Honoré apparaît à partir de juillet 1814 sur la liste des externes du collège de Tours[15]. Il assiste probablement aux festivités organisées en l’honneur du duc d’Angoulême le 25 mai, puis à la réception donnée le 6 août dans les jardins de l’hôtel Papion, qu’il évoquera plus tard dans Le Lys dans la vallée.
Le 1er septembre 1814, la Direction générale des Subsistances de la Guerre est privatisée. Son repreneur, Auguste Doumerc, nomme Bernard-François Balzac directeur des Vivres, d’abord à Tours, puis à Paris, le 1er novembre. Toute la famille Balzac quitte Tours pour s’installer dans le Marais à Paris. Cinq ans plus tard, après la faillite de Doumerc, Bernard-François Balzac sera mis à la retraite sans avoir pu faire reconnaître la totalité de ses services. Leur situation financière obligera les Balzac à quitter le Marais pour s’installer à Villeparisis[16].
Retours dans l’ancienne maison familiale
Bien qu’ils aient quitté la Touraine, les Balzac entretiennent leurs relations tourangelles, notamment avec la famille Marchant qui occupe désormais leur ancienne demeure. Après la mort d’Honoré Marchant en 1816, sa veuve se remarie avec le lieutenant-colonel d’Outremont[17]. Dans une lettre de 1819, Laurence raconte à son frère Honoré qu’à l’occasion de l’anniversaire de leur mère, les d’Outremont « devaient venir passer plusieurs jours » à Villeparisis avec leurs enfants. La fête a été annulée et Laurence, déçue, explique pourtant qu’avec les enfants « Albert et Honorine on était assez de monde pour faire un ou 2 quadrilles »[18]. Un mois plus tard, Laurence est invitée à Paris à « un bal charmant chez Mde la Baronne D’Outremont »[19] qu’elle relate également à son frère. De retour en Touraine au cours de l’été 1823, Honoré est invité à dîner dans la demeure tourangelle des d’Outremont : « Je suis à Tours aujourd’hui, et vais ce soir au bal chez Mme d’Outremont ousque je vois danser Elisa Bellanger, qui est toujours rousse et Claire Des Bordes[20], qui est toujours si petite qu’on ne l’épousera que pour en faire une épingle de chemise ».[21]
Balzac reste en excellents termes avec le fils Marchant, son ancien camarade de collège qui prend le nom d’Albert Marchant de La Ribellerie[22] en 1818. Celui-ci acquiert d’ailleurs en 1822 l’ancienne maison familiale des Balzac[23]. Cet ami d’enfance rend de nombreux services à l’écrivain. En 1836, il arrange notamment une rencontre entre Balzac et Talleyrand au château de Rochecotte. En retour, Balzac lui annonce : « si rien ne s’y oppose, je te donnerai le manuscrit des Illusions perdues puisque je l’ai martelé dans ton atelier de peintre »[24]. Mais Balzac change d’avis et lui offre en février 1837 les épreuves corrigées du Secret des Ruggieri. En août de la même année, alors qu’il est à Saché, Balzac s’invite à séjourner une nuit chez Albert : « Fais-mois le plaisir de me retenir ma place dans le coupé, je veux un coin, pour lundi prochain, à la diligence qui pourra me l’assurer ce jour-là. […] Je viendrai à Tours, samedi avec M. Margonne, si tu peux me donner à coucher, nous irions dimanche faire une visite à ta mère et je partirai lundi ».[25] En hommage posthume, Balzac dédiera à son ami d’enfance Le Réquisitionnaire en 1846.
[1] Balzac à Saché, I, p.54 : demeure acquise le 21 nivôse an XII (12 janvier 1804) par devant Me Boisquet, de M. Philippe-Jean-Baptiste Mignon et de Mme Victoire Salmon.
[2] Cf. retranscription intégrale par Paul METADIER, « La Maison des Balzac à Tours », Balzac à Saché, XI, pp.10-15.
[3] Une série de lettres d’Heredia adressées à Mme Hanska sont conservées à l’Institut de France, Fonds Lovenjoul, A 381, f°321-337.
[4] Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Passy, 2 janvier 1846, LH, II, p.146.
[5] Roger PIERROT, Honoré de Balzac, Fayard, La Flèche, 1994, pp.31-32.
[6] Extraits d’une lettre du préfet Lambert au ministre de l’Intérieur, cités par Roger PIERROT, op.cit, p.33.
[7] Ibid., p.32.
[8] Lettre d’Honoré de Balzac à sa mère, Vendôme, 1er mai 1809, Corr., I, n°1, p.15-16.
[9] Laure SURVILLE, Balzac, sa vie et ses œuvres, d’après sa correspondance, Jaccottet, Bourdilliat et Cie, 1858, pp.20-22.
[10] Roger PIERROT, op.cit., p.34.
[11] Ibid, p.35.
[12] Ibid, p.40.
[13] Nicole MOZET, A propos de la mère de Balzac, AB 1979, pp.209-210.
[14] Le Lys dans la vallée, Pléiade, IX, pp.980-981.
[15] Roger PIERROT, op.cit., p.38.
[16] Ibid, p.42.
[17] Ibid, p.21.
[18] Lettre de Laurence Balzac à Honoré, Villeparisis, fin octobre 1819, Corr, I, p.56.
[19] Lettre de Laurence Balzac à Honoré, Paris, fin novembre 1819, Corr, I, p. 69.
[20] Cf. fiche Artannes
[21] Lettre de Honoré de Balzac à Laure Surville, Corr, I, p.221-222.
[22] Il s’agit d’un des deux enfants du baron Marchant qui furent autorisés à prendre le nom de Marchant de La Ribellerie à la mort de leur père par ordonnance royale du 8 septembre 1818.
[23] Balzac à Saché, I, p.54 : Vente par licitation, par devant Me Bidault, notaire à Tours. Adjudication datée du 30 septembre 1822 à M. Albert Marchant de la Ribellerie, pour 48.530 Fr.
[24] Lettre d’Honoré de Balzac à Albert Marchant de La Ribellerie, Chaillot, janvier 1837, Corr, III, p.220.
[25] Lettre d’Honoré de Balzac à Albert Marchant de La Ribellerie, Saché, 21-25 août 1837, Corr, III, p.333-334.
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