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Le domaine des Margonne - Saché
HONORÉ DE BALZAC EN TOURAINE
Saché est un débris de château sur l’Indre, dans une des plus délicieuses vallées de Touraine. Le propriétaire, homme de 55 ans, m’a fait jadis sauter sur ses genoux, il a une femme intolérante et dévote, bossue, peu spirituelle, je vais là pour lui, puis j’y suis libre, l’on m’accepte dans le pays comme un enfant, je n’y ai aucune valeur, et je suis heureux d’être là comme un moine dans un monastère.
Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Paris, mars 1833 [1].
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M. Margonne, « suzerain » [2] de Saché
En 1779, Jean Buttet, négociant à Nogent-le-Rotrou, achète la seigneurie de Saché qui s’étend alors sur une superficie d’environ 800 hectares, incluant les châteaux de Saché et Valesne, plusieurs fermes et des moulins situés sur l'Indre.
En 1812, après le décès de leur grand-mère, Jean Margonne (1780-1858) et Anne de Savary (1783-1841) héritent de l’intégralité du domaine. Cousins germains, mariés depuis 1803, ils bénéficient désormais d’« une des plus belles et riches propriétés du département », « d’un revenu d’environ 40,000 Fr. », d’après Jacques Briau, le régisseur du domaine de 1816 à 1823 [3]. Quant au château de Saché où ils s’installent désormais à la belle saison, il s’agit d’une demeure bourgeoise de la fin 15e - début 16e siècle, remaniée et agrandie aux 17e et 18e siècles [4], dont les pièces de réception sont décorées au début du 19e siècle de papiers-peints, encore en partie visibles aujourd’hui.
À la différence de MM. de Biencourt, Le Breton de Vonnes ou Landriève des Bordes, les châtelains voisins respectivement maires d’Azay-le-Rideau, Saché et Artannes, Jean Margonne reste discret et ne se consacre pas immédiatement à la chose publique. Une note du maire de Tours en 1809 souligne qu’on le juge de « bonne moralité », mais que « son éloignement de toute fonction le fait présumer très indifférent » [5]. Tandis que son régisseur est adjoint au maire de Saché depuis 1818, le propriétaire du domaine de Saché accepte la charge de conseiller municipal à partir de 1825 [6].
Selon Jacques Briau-Bodin, régisseur du domaine de 1816 à 1823, Jean Margonne « était un homme juste remplissant ses engagements avec exactitude, par la même raison il voulait qu’on en fit de même à son égard, il n’était pas communicatif, parlant peu, fin observateur, il cherchait toujours à deviner la pensée des autres et il ne communiquait jamais la sienne, il était d’une taille plus qu’ordinaire, d’une belle figure, c’était un des plus beaux hommes du département, il était très aimable près des dames aussi la chronique scandaleuse ne manquait pas d’en jaser »[7].
Le domaine de Saché dans la première moitié du 19e siècle
Jean Margonne semble porter toute son attention à l'exploitation de son domaine. On note qu’à partir de 1836, il n'achète plus de terres en friche. Il concentre ses nouvelles acquisitions sur des parcelles labourables pour parvenir en 1851 à un domaine d’environ 2000 hectares (sur les 2800 de la commune de Saché), dont 70% de terres labourables [8]. Cette politique d'acquisition foncière a sans doute été source d'inspiration pour Balzac dans son roman Le Lys dans la vallée où il explique l'intérêt pécunier d'une démarche similaire vis-à-vis du domaine de Clochegourde :
Avec ses nouvelles acquisitions et en introduisant partout le nouveau système d’exploitation, la terre de Clochegourde, divisée en quatre grandes fermes, dont deux restaient à bâtir, était susceptible de rapporter seize mille francs en écus, à raison de quatre mille francs par chaque ferme […]. Les chemins de ses quatre fermes pouvaient tous aboutir à une grande avenue qui de Clochegourde irait en droite ligne s’embrancher sur la route de Chinon. La distance entre cette avenue et Tours n’étant que de cinq lieues, les fermiers ne devaient pas lui manquer, surtout au moment où tout le monde parlait des améliorations faites par le comte, de ses succès, et de la bonification de ses terres.[9].
Les habitants du château de Saché à l’époque de Balzac
Balzac effectue une dizaine de séjours à Saché entre 1825 et 1848. Dans sa correspondance, le romancier raconte parfois à ses proches son quotidien au château et ses longues phases d’écriture dans sa petite chambre au deuxième étage. Tantôt amusé, tantôt agacé, il évoque aussi les visites régulières du voisinage. Mais il ne mentionne que rarement le personnel au service de Jean Margonne : « Le cuisinier de Saché chante le chœur des Girondins pendant que je vous écris !… Nous aurons des sauces républicaines »[10].
En 1836, le premier recensement de la population de Saché précise que huit personnes résident au château de Saché : les propriétaires Jean et Anne Margonne (respectivement 56 et 52 ans), Charles et Elisabeth Boisseau (36 ans tous les deux) valet et femme de chambre, Julien Vigneau (40 ans) cocher et Etienne Huault (24 ans) laquais, ainsi que François Cormery (19 ans) cuisinier secondé par Anne Maurice (33 ans) [11]. Cependant, le château n’est pas constamment habité : tous ces gens de maison suivent Jean Margonne dans ses déplacements entre Paris et la province. Jacques Briau raconte : « il habitait son château pendant six mois de la belle saison, les six autres mois il les passait à Paris dans son hôtel »[12].
À partir de 1837, les Margonne recueillent Marie-Alix Salleyx (1816-1895), la filleule de Mme Margonne dont les parents sont décédés. À la mort de sa marraine, Marie-Alix reste aux côtés de Jean Margonne. En bon observateur, Balzac raconte à Mme Hanska : « Alix ne le quitte guère, elle sera je crois son héritière »[13].
Secrets de famille
Lors de son dernier séjour à Saché, l’écrivain s’épanche auprès de Mme Hanska. Il lui confie que Jean Margonne est le père de Marie-Alix, mais aussi celui d’Henry Balzac, son propre frère[14]. Balzac se souvient avoir vu Alix chez les Margonne lorsqu’elle était enfant et que ces derniers lui ont toujours témoigné beaucoup d’amour. Il estime en revanche qu’Henry « n’a jamais eu auprès de M. Margonne le même succès que cette petite »[15]. À la mort de Jean Margonne, Marie-Alix devient sa légataire universelle ; quant à Henry, décédé quelques mois plus tôt, il devait hériter de deux cent mille francs. Ce legs conséquent sonnerait comme une reconnaissance tardive de la paternité de Jean Margonne.
Christelle Bréion (musée Balzac, Saché)
[1] Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Paris, mars 1833, LHB, I, p.36.
[2] Expression employée par Balzac dans une lettre à Mme Hanska, datée de Paris, 17 férier 1834, LHB, I, p.138: « Demain, je suis forcé d’aller dîner chez M. Margonne, le suzerain de Saché ».
[3] Mémoires de Jacques Briau-Bodin, manuscrit conservé aux AD37 sous la cote 1J1348.
[4] Pierre Papin, Mathieu Laurens-Berge, Compte rendu d'observations archéologiques (octobre 2008), mai 2009, Conseil général, Service de l'Archéologie du Département d'Indre-et-Loire.
[5] Michel Laurencin, « Les personnages tourangeaux dans l’œuvre d’Honoré de Balzac : de la fiction romanesque à la réalité historique », Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, 1998, p.17.
[6] Registre de délibérations de la commune de Saché, AD37 E dépôt 205/D 1, cité par Marie Françoise Sassier, Le château de Saché, refuge de Balzac, Conseil général d'Indre-et-Loire, Joué-lès-Tours, 2001, p.45.
[7] Mémoires de Jacques Briau-Bodin, ibid.
[8] Anouck Rondeau, Le château de Saché au fil du cadastre (une politique départementale), mémoire de maîtrise, 1995, conservé aux AD37 sous la cote 3 F 0261 CACIL.
[9] Le Lys dans la vallée, Pl., t. IX, p.1064.
[10] Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Saché, 27 juin 1848, LHB, II, p.878.
[11] Ce recensement ne mentionne pas Virgile Pertuis, régisseur du domaine de 1823 à la mort de Jean Margonne en 1858.
[12] Mémoires de Jacques Briau-Bodin, ibid.
[13] Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Paris, 8 mai 1848, LHB, II, p.830.
[14] Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Saché, 19 juin 1848, LHB, II, p.872-873.
[15] Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Saché, 12 juin 1848, LHB, II, p.866.
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